J’aurais
pu intervenir en vous disant : L’assemblée nationale a décidé en ce qui la
concerne et la courtoisie parlementaire et républicaine veut que nous n’y
touchions pas. Pourtant, ayant été un défenseur assidu du projet de députés des
Français de l’Etranger, je dois prendre mes responsabilités, m’expliquer devant
vous et répondre aux questions que vous êtes en droit de vous poser.
Mais permettez moi de passer en revue les
principales objections que j’ai pu entendre depuis quelques mois, et d’y
répondre.
Une première interrogation
qui revient souvent : pourquoi les Français de l’étranger devraient-ils élire
des députés ?
La
véritable question est en fait : pourquoi n’est-ce pas déjà le cas ? Ils sont
les seuls citoyens à élire des représentants dans une seule chambre du Parlement.
Pourquoi ce déni de représentation ?
Lorsque
la proposition de représenter les Français établis hors de France s’impose au lendemain
de la seconde guerre mondiale, en reconnaissance de leur rôle dans la
Résistance, elle se heurte à l’impossibilité matérielle d’organiser des
élections en territoire étranger. Les relations internationales sont délicates
au sortir du conflit mondial, notamment avec l’Est et avec les anciennes
colonies.
Il
faut bien comprendre que seules ces considérations matérielles empêchent la
création de députés, aussi bien en 1946 qu’en 1958.
Le
scrutin au suffrage universel indirect s’impose alors comme la seule solution.
Et c’est bien au Sénat, alors Conseil de la République, que les Français
établis hors de France obtiennent 8 représentants.
Or,
le suffrage universel direct existe à l’étranger depuis 1976.
En
effet, à cette date, la loi organique a autorisé l’organisation de l’élection
du Président de la République et des scrutins référendaires dans les centres de
vote ouverts à l’étranger.
Les
Français ont également pu voter dans les consulats pour élire les députés
français au Parlement européen en 1979.
La
dernière grande étape d’expansion du suffrage aura été la loi de 1982, qui
institue l’élection des membres du CSFE, aujourd’hui AFE, au suffrage universel
direct. Conséquence directe de ce nouveau scrutin : le CSFE devient le collège
électoral à part entière des 12 sénateurs des Français établis hors de France
en 1983.
Aujourd’hui,
les Français de l’étranger votent dans les 580 centres de vote ouverts à l’étranger.
L’impossibilité matérielle d’organiser des scrutins au suffrage universel
direct en territoire étranger a disparu. L’obstacle levé, il nous faut franchir
la dernière étape.
Accorder
une représentation à l’Assemblée nationale aux Français établis hors de France,
c’est proclamer une double affirmation : celle de l’appartenance des Français
de l’étranger à la communauté nationale, et celle du besoin que nous avons
d’une présence française à l’étranger, forte, mobile et attachée à son pays
d’origine.
2ème objection fréquemment
formulée : les Français établis hors de France sont très bien représentés comme
ça.
La
représentation unijambiste des Français établis hors de France a permis
d’avancer, souvent lentement, mais d’avancer quand même, c’est vrai. Est-ce à
dire qu’il faut refuser la deuxième jambe si on nous propose une greffe ?
Mes
Chers Collègues, étant élus de circonscriptions où les échelons électifs se
superposent les uns aux autres, vous n’imaginez pas la difficulté de n’être
représenté que dans une seule assemblée.
Etre
absents dans une chambre, c’est être méconnus, souvent réduits en caricature ;
c’est entendre, impuissants et frustrés, les approximations et contrevérités
énoncées par des orateurs insouciants à des tribunes inaccessibles.
Nous
ne voulons pas rester bancals.
3ème point : l’Assemblée
des Français de l’étranger va disparaître.
L’actuel
article 39 de la Constitution prévoit dans sa dernière phrase que les projets
de loi concernant les « instances représentatives des Français établis hors de
France sont soumis en premier lieu au Sénat ».
L’Assemblée
nationale a compté cette partie du 39 comme dommage collatéral de la création de
députés des Français de l’étranger, et l’a supprimé. la
Haute la
Constitution. la
France
Certains
y voient maintenant un risque de disparition de la fameuse « instance représentative
», à savoir l’Assemblée des Français de l’étranger.
C’est
aller un peu vite : voté en 2003, soit 55 ans après la création du CSFE
(aujourd’hui AFE), l’alinéa constitutionnel institue seulement une prévalence
du Sénat pour les Français de l’étranger.
On
voit mal comment il entraînerait dans sa chute une institution bien accrochée à
des textes législatifs - organique ou ordinaire - et règlementaires.
L’AFE
est également le collège électoral des sénateurs des Français de l’étranger,
dont l’existence est gravée à l’article 24 du marbre constitutionnel. Elle ne
disparaîtra pas.
La
prévalence du Sénat a été la consécration de son propre rôle de « Maison des
Français de l’étranger », pas de celui de l’Assemblée des Français de
l’étranger. En aucun cas, celle-ci n’a attendu cette priorité de
L’Assemblée
des Français de l’étranger n’était pas inscrite dans la Constitution, elle ne
le sera pas plus demain. Soit.
Mais
elle continuera à exister tout de même, sans être diminuée de rien, forte de
députés. Tout comme un conseil général continue d’exister malgré les députés…
Mes chers Collègues, la
défense du Sénat et de ses prérogatives préoccupe beaucoup d’entre vous.
Pourtant,
il ne tient qu’à nous, sénateurs des Français de l’étranger, de garder
l’avantage.
La
prévalence du Sénat ne concernait que les projets de loi. A nous l’initiative
des propositions ! Chacun sait de toute façon que la grande majorité des textes
adoptés en cette matière sont d’origine sénatoriale.
Notre
prévalence sera à l’avenir le fait de notre expertise, héritée de notre
histoire et d’une intimité avec les problématiques propres à nos compatriotes à
l’étranger. Et pas d’une ligne dans
On
ne nous enlève rien finalement, on ne fait qu’ajouter ailleurs… Aurions-nous si
peur de la concurrence
De
toute façon, chers collègues, si je comprends votre souci de garder à la Haute
assemblée toute sa place, je ne peux pas le partager. Je représente les
Français établis hors de France, pas seulement
L’institution
sénatoriale - que j’espère servir plus et mieux en me battant pour cette
réforme, qu’en défendant une prérogative.
Mais, me dit-on, on va
réduire le nombre de sénateurs des Français établis hors de France !
De
6, ils sont passés à 12 en 1983, pour compenser l’absence de représentation à l’Assemblée
nationale. Doit-on craindre l’effet inverse ?
Je
ne le crois pas. Cela me semble aussi peu probable que souhaitable. Depuis 1983,
le nombre de Français résidant à l’étranger a plus que doublé pour devenir le 7ème
« département » en ordre d’importance électorale.
Les circonscriptions seront
trop grandes, ça va coûter trop cher d’aller voir les électeurs.
Voilà
une affirmation souvent répétée sur les bancs de l’Assemblée nationale. A
ceux-là, je réponds que mes 11 collègues et moi-même sommes élus dans le cadre
d’une circonscription qui s’étend au monde entier. A l’exception de
Et
puis j’ajoute qu’à l’étranger les contacts se font de plus en plus souvent par
Internet, ce qui complète le travail de terrain.
Une autre interrogation de
nos collègues du Palais Bourbon : combien et comment vont-ils être élus ?
Le
principe ne doit justement pas être menacé par les divergences quant à la mise
en oeuvre. Plusieurs options sont ouvertes, et le débat ne doit pas s’ouvrir
aujourd’hui.
On
doit être d’accord sur un certain nombre d’objectifs, comme la plus grande
proximité possible avec le terrain, ou le mode de scrutin le plus adéquat en
fonction de la spécificité de la circonscription. Mais il ne faut pas céder à
des craintes sans fondement.
Certains
députés redoutent l’arrivée de la
proportionnelle à l’Assemblée nationale. Il ne s’agit pourtant pas d’une
maladie contagieuse que l’on attraperait sur les bancs. Et puis y -aura-t-il un scrutin
proportionnel ? Rien n’est décidé définitivement…
D’autres
s’interrogent sur un découpage qui voudrait faire parler par la même voix un Français
de Minsk et celui d’Istanbul. Ceux qui connaissent les communautés françaises à
l’étranger, très hétérogènes, savent que les différences peuvent être beaucoup
plus importantes au sein d’un même pays.
Beaucoup
craignent l’organisation du scrutin en deux tours à une semaine d’intervalle.
Etc.
Mes
Chers Collègues, je le répète, rien n’est décidé. Nous verrons tout cela dans les
prochains mois.
Ce
n’est pas sur les modalités que l’on devra se prononcer dans les jours à venir,
mais sur une ambition, une politique, un choix de société.
Tout
ceci aura des répercutions plus larges qu’il ne faut pas perdre de vue. Dans la
mondialisation à laquelle la France ne peut échapper, notre pays a besoin de Français hors de ses frontières. Il
faut construire le socle d’une diaspora qui lui permettra d’évoluer et de
s’épanouir, composée des femmes et des hommes qui vivent l’ambition
internationale de notre pays au quotidien.
En
fait de leur ouvrir la porte du Parlement, les Français établis hors de France
ont été, certes, c’est vrai, très bien traités, mais quelque peu «enfermés» au
Sénat.
Ce
n’était pas l’esprit du texte de 1958. En adoptant ce projet de loi et en
approuvant la modification de la constitution en congrès, nous avons
aujourd’hui l’opportunité d’y remédier.
L’opportunité
d’être Français, et pas seulement à l’étranger.
Je vous remercie.
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