Mon collègue Yves Alemany, Conseiller désigné à l'AFE et en résidence à Tokyo nous fait part de son analyse des relations franco-japonaises."Les 150 ans de relations diplomatiques qui unissent la
France et le Japon sont avant tout des relations humaines exceptionnelles
créées et développées grâce à des femmes
et des hommes français et japonais qui se sont découverts une passion et une
estime réciproques.
En effet au départ vraiment peu de choses prédestinaient
la France à connaître cette terre des antipodes, séparée par plusieurs océans
et des rivages inabordables, dont par ailleurs le barrage de la langue et de l’écriture
fut au début une barrière redoutable pour permettre d’échanger et de se
comprendre
Il fallait des hommes courageux et curieux pour se lancer
dans cette aventure singulière. L’ouverture en 1858 des relations diplomatiques entre la France et le
Japon plus qu’une démarche politique et diplomatique traditionnelle est, sans
aucun doute le fait d’une démarche tout à fait particulière liée à la curiosité
et à la passion de quelques hommes qui, débarqués au Japon pour une mission
ponctuelle se sont pris d’une passion irréversible pour ce pays qui exerça sur
eux une telle fascination qu’ils décidèrent de s’y établir!
C’est pour cela que les
relations entre la France et le Japon sont aussi puissantes que passionnées
malgrè un intérêt politique assez mineur. Les témoignages et les exemples sont nombreux; pendant très longtemps
l’intérêt de la France pour le Japon a été une affaire de passionnés et
d’érudits qui se consacrent à l’étude des coutumes, de la géographie, et
surtout de la nature. Nos premiers
diplomates au Japon sont du reste des amateurs et des collectionneurs d’art qui
se consacrent quasiment exclusivement à leur passion.
Ce qui continue aujourd’hui encore à rapprocher la France
et le Japon ce sont avant tout les hommes qui, plus que les représentations
officielles et institutionnelles, constituent le vrai ciment des relations
franco-japonaises. Les exemples de
relations anonymes et personnelles qui ont contribuées à développer l’influence
de la France auprès de nos amis Japonais sont fertiles et nombreux. A bien des égards le prestige de la France au
Japon c’est avant tout une relation personnelle d’un Français auprès de
Japonais.Parmi cette chaîne de Français anonymes, alors que l’on
célèbre le 150ème anniversaire des Relations Diplomatiques entre la
France et le Japon, je me considère comme l’un de ces maillons qui,
modestement, a apporté sa contribution pour construire ce réseau d’amitié et de
confiance qui sert de terreau au développement de nos relations économiques,
scientifiques et culturelles.
En 1989, alors que j’étais président de Kenzo-Japon, j’ai
«porté» le Pacte d’Amitié entre le Château de Chantilly et le Château
d’Himeji. L’histoire de ce Pacte
d’Amitié relève d’une initiative originale, elle est très simple et très
belle. Elle reflète aussi le fondement
de mes propos concernant le fait que l’histoire des relations entre la France
et le Japon est avant tout une histoire d’hommes et de femmes passionnés.
A cette époque j’étais chargé de développer au Japon la
marque du grand couturier japonais installée à Paris, Takada Kenzo, que l’on
disait alors le plus parisien des créateurs de mode japonais. Kenzo est né à Himeji, une ville qui possède
un magnifique château médiéval, sans doute l’un des plus beau du Japon, surnommé
le Héron blanc. Sous l’impulsion de son
maire, monsieur Totani, un homme remarquable, la ville d’Himeji très fière de
Kenzo, l’enfant du pays qui était parti trouver la gloire en France et qui,
grâce à son talent de créateur de mode était maintenant connu dans le monde
entier, souhaitait se servir de cet exemple pour inciter les jeunes d’Himeji, à
l’exemple de Kenzo, à partir découvrir le monde. Sur la base de cette idée, le maire
multipliait donc les liens avec l’étranger en signant à travers le monde entier
des jumelages avec de nombreuses villes afin de créer des bases de contacts et
d’accueil pour favoriser de futurs échanges entre les jeunes gens d’Himeji et
ceux de ces villes amies. Cependant,
chose assez paradoxale, Himeji n’avait pas encore réussi à développer de
partenariat avec la France en dépit de ce lien privilégié qui existait entre
Himeji et Paris grâce à Kenzo.
Le maire m’avait fait part de sa déception en
m’expliquant qu’il n’avait jamais réussi à trouver en France les bons
interlocuteurs. Sachant que j’avais
quelques relations et quelques amis dans le monde politique en France, il
m’avait donc chargé de trouver en France un partenaire pour Himeji!... Bien entendu il fallait que les deux villes
que l’on souhaitait jumeler aient quelques points communs qui justifient et donnent
une légitimité à ce rapprochement. L’idée de trouver une ville française qui possède un patrimoine
historique semblable au château d’Himeji a très vite germée dans mon esprit;
ensuite il était souhaitable que cette ville ne soit pas trop éloignée de Paris
pour en faciliter l’accès aux futurs visiteurs japonais. Ainsi le château de Chantilly s’est avéré
répondre à l’ensemble de ces critères. A
cette époque, le Président du Conseil Régional de l’Oise souhait lui même
organiser un voyage d’élus et d’entrepreneurs du département de l’Oise au Japon
pour y établir des contacts en vue de valoriser les attraits du département
auprès d’investisseurs japonais potentiels. En me fondant sur mon dogme personnel, à savoir, commençons par établir
avec nos amis japonais des relations d’amitié et de confiance, le reste suivra,
je lui ai exposé mon projet. Sans tarder
un consensus était trouvé pour jumeler Chantilly et Himeji. Il est intérésssant de noter que dans
l’équipe de Chantilly il y avait alors un jeune conseiller municipal
extrêmement dynamique et talentueux nommé, Eric Woerth, aujourd’hui Ministre du
Budget du Gouvernement Fillon
Le maire d’Himeji voulait aller très vite parce qu’on
célébrait aussi cette année la, à Himeji, le centième anniversaire de l’organisation
de la ville en structure communale. Monsieur Totani voulait que la cérémonie de
jumelage avec une ville française soit le point fort de cette célébration
puisque le système communal japonais était inspiré du système d’organisation
communal français. Très vite on s’est
rendu compte qu’un jumelage prendrait trop de temps car il y avait des
démarches et des exigeances administratives trop lourdes à remplir, on a donc
eu l’idée de contourner cet obstacle administratif en inventant ce nouveau concept
de Pacte d’Amitié qui dépendait uniquement de la volonté et d’une simple
décision du conseil municipal de chacune des deux villes concernées qui décidèrent
de se lier en fondant ce rapprochement sur leur identité culturelle. Ainsi le Pacte d’Amitié entre le château d’Himeji
et le château de Chantilly fut une grande première. J’ignore, si par la suite, il a été suivi par
d’autres rapprochements du même genre entre deux patrimoines architecturaux et
culturels situés l’un en France et l’autre à l’etranger.
Les signatures du Pacte d’Amitié eurent lieu au printemps
1989 à Himeji sous les cerisiers en fleur au pied du Château et à l’automne au
Château de Chantilly. Des festivités nombreuses
dignes du passé glorieux de ces deux châteaux furent organisées dont un très
somptueux diner au Château de Chantilly.
J’ignorais alors que ce fastueux diner présidé par
Maurice Schumann, Président de l’Institut de France, propriétaire du château de
Chantilly, allait être pour moi un trait d’union prémonitoire et que, quinze
années plus tard, j’occuperai de nouvelles responsabilités chez
Christofle. En effet le dernier
propriétaire du château de Chantilly, le Duc d’Aumale, neveu du dernier roi de
France, Louis Philippe,était un client très important de la Maison Christofle à
laquelle il commandait toute son argenterie.
Par ailleurs
l’histoire de la Maison Christofle dont j’allais devenir le Président au Japon
en 2005 est aussi étroitement liée à l’histoire du Japonisme dont de nombreux
modèles d’orfèvrerie créés à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1868 attestent
de cette influence, retour à la nature sur des thèmes très japonisants et
utilisation des techniques du cloisonné.
Je retiens de cette
histoire qu’il est étonnant de constater l’importance du fil conducteur que
représente le Japon dans ma vie professionnelle et personnelle. Sans le Japon ma vie n’aurait sûrement jamais
connu l’intérêt que j’ai eu la chance de rencontrer. Comme les premiers aventuriers qui se sont
trouvés au Japon en 1858 au moment où la France établissait ses premières
Relations Diplomatiques avec le Japon, c’est un peu par hasard aussi que je suis arrivé au Japon en 1973 et
c’est aissi une réelle passion et une réelle amitié qui, depuis 35 ans,
illustre ma relation avec le Japon et qui me lie d’amitié avec les Japonais."
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