Il n’est pas dans les habitudes de l’Assemblée des Français de l’étranger de dicter les décisions ministérielles et notamment celles relatives aux Affaires étrangères de la France, cependant nous nous trouvons dans une conjoncture délicate, voire dangereuse et explosive, une conjoncture qui engage la sécurité de près de 27.000 de nos compatriotes vivant au Liban, en Syrie et en Jordanie et qui pourraient devenir les otages d’un conflit aux conséquences imprévisibles.
Permettez-moi donc Madame la Ministre de me faire ici l’écho de leurs craintes et de leurs interrogations. Nos concitoyens résidant au Liban sont inquiets et leur inquiétude est légitime. La situation sécuritaire interne au pays se dégrade de jour en jour, les voitures piégées à Beyrouth et Tripoli ont provoqué la mort de dizaine de civils, d’autres sont découvertes tous les jours dans les lieux publiques et sont désamorcées, le conflit syrien est en train de déborder au pays du cèdre avec par ailleurs la présence aux frontières de plus d’un million de réfugiés sur une population libanaise de seulement 4 millions d’individus.
La diplomatie des droits de l’homme, la lutte contre la tyrannie que la France a toujours pratiquée nous incitent certes à une intervention en Syrie pour que cessent ces massacres, mais avons-nous le droit se faisant de rompre les équilibres fragiles du contexte proche oriental ?.
Comment éviter de mettre en danger les communautés chrétiennes et les autres minorités ethniques et religieuses qui peuplent cette région du monde depuis des siècles en faisant le jeu des intégristes et desextrémistes qui forment l’opposition de l’actuel régime de Bachar El Assad ?.
Les violences commises contre les Coptes d’Égypte ne nous serviraient-elles pas d’indicateurs : 64 attaques simultanées d’églises, d’écoles et de commerces appartenant aux chrétiens d’Égypte ont été perpétrées dans la seule journée du 14 août dernier en représailles aux assauts de la police contre les camps retranchés des frères musulmans en Égypte.
Est-ce à dire que toutes les minorités de cette région du monde sont vouées à une mort certaine à court et moyen terme dans le silence assourdissant des instances internationales. Hier même l’un des plus anciens villages chrétiens des environs de Damas Maaloula est passé aux mains des Djihadistes issus de la mouvance d’Al-Qaïda, je n’ose imaginer quel sort a été réservé à ces lieux Saints et surtout aux religieux et religieuses qui vivent retirés du monde dans leur couvent depuis tant de generations.
Madame la Ministre, aucune intervention militaire aussi limitée soit-elle n’est anodine. Tout le monde s’accorde à dire que ces frappes si elles ont lieu ne règleront rien à la crise syrienne, elles ne pourront que mettre en danger la sécurité de l’ensemble des pays de la région en compromettant pour longtemps les chances d’une paix régionale juste et durable que nous attendons depuis plus de 66 ans.
Comment éviter par cette intervention la déstabilisation de tous les pays avoisinants, Jordanie et Liban en tête ? et comment prévenir alors les massacres et le cycle indomptable de la violence que cette boite de pandore ouverte par nous pourrait générer ?.
Le Liban serait alors pris dans l’engrenage de la violence et les français du Liban et de la région paieraient alors le prix d’un engagement délibéré de notre gouvernement dans ce conflit. Répondre à la violence par encore plus de violence n’est pas la solution idéale que nous dicterait la sagesse.
Il y a un temps pour tout :
- Un temps pour s’assoir et s’interroger sur les conséquences d’un tel engagement.
- Un temps pour évaluer lucidement tous les paramètres de ce conflit avant de se lancer dans un grand projet militaire dans lequel nous pourrions ne pas avoir les moyens de nos ambitions !
- Il y a surtout un tempsque nous devons nous imposer pour privilégier et explorer les voix diplomatiques du dialogue et de la paix, quelque soit la nature de notre interlocuteur car dans toute guerre il n’y a que des perdants.
Madame la Ministre, sommes-nous prêts à endosser la responsabilité des conséquences d’un engagement militaire qui pourrait déboucher sur un conflit bien plus vaste aux dimensions mondiales ?
Qu’avons-nous prévu au lendemain de ces frappes pour construire une vraie solution au contexte syrien et plus largement moyen-oriental ?
Qu’avons-nous prévu pour protéger les 27.000 français de la région si le conflit devait dégénérer ? Et dans le contexte des restrictions budgétaires que nous vivons, la France aura-t-elle les moyens d’organiser comme en 2006 une opération d’aide aux départs de nos compatriotes vers la France (opération qui avait couté plusieurs millions d’euros).
Autant de questions que nous nous posons Madame la Ministre, mes concitoyens et moi-même sans avoir de réponse.
Une française de Syrie m’écrit, je la cite : « dans nos cœurs il pleure, et c’est l’horreur ! Je prie pour que la France se désengage de ce conflit aux mains sales ». Fin de citation.
Je vous laisse méditer cette phrase en souhaitant qu’au lieu de nous mobiliser pour la guerre que nous puissions tous emprunter les sentiers difficiles de la paix, pour sauvegarder la fragilité et la richesse de nos différences, dans cette région du monde, et essayer de panser les plaies profondesqui diviseraient à jamais les peuples de ce Moyen-Orient si particulier mais tellement essentiel !
Je vous remercie de votre attention.
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