Mes chers compatriotes,
Si vous m’avez élu à la tête de l’Etat, c’est pour conduire le changement que chacun d’entre vous appelle de ses vœux. Vous le pressentez tous : dans le monde tel qu’il est, la France serait condamnée au déclin si elle restait immobile. Nous avons tous, au fond de nous, la conviction qu’elle a déjà trop attendu, qu’elle a pris du retard, qu’il y a urgence, que les réformes ne peuvent plus attendre.
Quand je parle de réformes, je ne parle pas seulement de quelques réformes techniques, je ne parle pas seulement de quelques changements dans la fiscalité ou dans les prestations sociales.
Je ne parle pas non plus d’une politique de la table rase. Je ne parle pas d’une politique qui voudrait faire comme si la France était un pays neuf, sans histoire, sans mémoire et sans héritage.
Je parle de cette profonde réforme intellectuelle et morale que la France a toujours su accomplir quand elle sentait que son destin lui échappait.
Je pense à cette rupture avec les mentalités, les routines et les comportements du passé que rendent si nécessaire les changements d’époque.
Je pense à cette remise en cause des rentes de situation, des privilèges indus, des conservatismes qui bloquent l’élan de la société vers l’avenir.
C’est dans les moments où tout doit changer sous peine du plus grand péril que les institutions se révèlent pour ce qu’elles sont. C’est dans ces instants cruciaux où leur rôle est décisif qu’elles expriment leur vérité ultime.
Car les institutions, ce sont les points fixes des sociétés humaines.
Les institutions, ce sont les règles qui sont connues par avance qui permettent à chacun de savoir raisonnablement ce qu’il peut attendre de tous les autres.
Les institutions, c’est tout ce qui fait que la société ne marche pas au hasard.
Les institutions, c’est le pont entre le passé et l’avenir.
Les institutions, c’est tout ce qui permet que les énergies, les volontés, les imaginations se complètent et s’additionnent au lieu de se disperser et de se contrarier.
Elles sont la tentative toujours imparfaite, toujours inachevée, toujours recommencée de concilier le besoin éternel de l’ordre et la nécessité vitale du mouvement.
Elles sont la réponse que chaque peuple tente d’apporter pour lui-même à l’éternelle question du pouvoir.
On mesure leur grandeur quand la mise à l’épreuve par les événements les plus dramatiques les poussent à aller jusqu’à l’extrême de leur logique.
Dans les temps ordinaires, ceux des routines et des habitudes, on peine à discerner l’importance de leur rôle. Mais le jour où viennent les crises, alors se pose la question de savoir si elles ont permis de mettre le pays en mesure de les surmonter et si elles résistent à la pression des circonstances.
Les terribles défaillances qui ont eu des conséquences si tragiques entre 1914 et 1917 avaient des causes plus lointaines et plus profondes que les erreurs ponctuelles du commandement militaire. Elles provenaient des vices de fonctionnement d’un régime depuis longtemps organisé pour que nul ne puisse réellement gouverner. Il aura fallu l’autorité indomptable et républicaine de Clemenceau en 1917 pour que la France soit sauvée.
En 1940, les mêmes causes produisirent les mêmes effets. Là encore, tout venait du régime. Les fautes mêmes du commandement n’étaient pas séparables d’un système qui avait produit des doctrines absurdes et des chefs militaires et politiques à ce point dépassés par les événements qu’ils n’avaient rien vu venir, qu’ils n’avaient pas su prendre à temps la mesure du danger ni imaginer les réponses qui auraient pu le conjurer. Le régime avait conduit à l’impuissance tous ceux qui avaient parfaitement compris la montée des périls et qui avaient cherché dans tout ce qu’ils faisaient à provoquer une prise de conscience salutaire et à mettre la France en situation, le moment venu, de se défendre. Mandel, De Gaulle, Raynaud ont tout essayé. Aucun n’a été en mesure de faire partager ses vues. Le régime était ainsi fait qu’il excluait toutes les intelligences lucides, tous les esprits visionnaires, tous les grands caractères. Le régime était ainsi fait que toutes les volontés se trouvaient broyées et que l’impuissance était la règle.
Plus encore qu’à l’impréparation d’une armée qui n’avait pas saisi les ressorts de la guerre moderne, le désastre de 1940 fut imputable au régime qui depuis longtemps en avait préparé les conditions. Le Général De Gaulle en avait acquis cette conviction, que toute l’histoire des peuples enseigne et qu’on a tendance à oublier dès que les crises sont passées, que la France a d’abord besoin d’être gouvernée.
Le Général De Gaulle avait la conviction que la France a besoin d’institutions qui soutiennent la volonté politique, qui renforcent l’autorité de l’Etat.
Le Général De Gaulle avait la conviction que tout ce qui ruine l’autorité de l’Etat, qui étouffe la volonté politique, qui nuit à la continuité de l’effort, fait courir au pays un danger mortel.
En 1946, il était venu ici à Epinal. Il avait déclaré : « il faut que le chef de l’Etat en soit un (…). Il faut que le gouvernement en soit un (…). Il faut que le Parlement en soit un. »
Il voulait que chacun à sa place exerçât la plénitude de sa fonction, dans un système de séparation des pouvoirs sans lequel il n’y a pas de démocratie. Il voulait que la France fût gouvernée ! Il voulait que la France tirât les leçons de son histoire et qu’elle se souvînt que l’absence si durable d’un véritable gouvernement l’avait conduite au précipice.
Il ne fut pas entendu. Les politiciens reprirent leurs jeux stériles. Le régime des partis revint avec le régime d’assemblée. La IVe République ressuscita ce qu’il y avait de pire dans la IIIe. On sait comment cela se termina. Derrière l’énergie française accomplissant en un temps record le miracle de la reconstruction, derrière la mise en place de ce nouveau contrat social que les hommes du Conseil National de la Résistance avaient imaginé, derrière tant d’ardeur, de courage et de travail, le régime armait la machine infernale qui pouvait une fois de plus placer le pays au bord du gouffre.
1958, ce fut une fois encore moins la défaillance des hommes que l’aboutissement de la longue crise institutionnelle qui n’avait pratiquement pas cessé depuis que la IVe République avait commencé.
1958, la guerre civile, la crise financière, la crise de confiance, voilà les périls qui menaçaient et que l’Etat, pris en otage par les partis, livré aux factions et aux intérêts particuliers, ne pouvait pas conjurer tant le régime rendait impossible le moindre sursaut, tant les meilleures volontés se trouvaient une fois de plus condamnées à la paralysie.
Il faut avoir la mémoire bien courte ou la haine viscérale de l’Etat et de la République pour éprouver de la nostalgie pour ce régime d’impuissance où les gouvernements étaient renversés aussitôt qu’ils étaient formés.
Il faut bien peu se soucier de l’histoire ou bien mal la connaître pour oublier comment les institutions de la IVe République entravaient l’élan de toute cette génération de la Résistance à laquelle la lutte contre l’occupant avait donné une si grande profondeur humaine et la conviction qu’ils avaient le devoir d’œuvrer à l’émergence d’un monde nouveau où leurs enfants n’auraient plus à vivre les tragédies qu’eux-mêmes avaient vécu.
Depuis la Convention jusqu’au naufrage de la IVe République, la France a expérimenté tout ce que les errements du régime d’assemblée pouvaient avoir de conséquences néfastes et parfois tragiques.
Pendant presque deux cents ans, bien des républicains français ont cherché à dresser la toute-puissance parlementaire contre la peur de l’homme providentiel et la crainte du pouvoir personnel. Beaucoup d’entre eux n’ont cessé de vivre dans la hantise du 18 brumaire et du 2 décembre, au point qu’ils ont fini par confondre la démocratie avec l’abaissement du pouvoir exécutif. Ce qui n’empêchera pas la Convention de se jeter dans les bras de Robespierre, le Directoire dans ceux de Bonaparte, la IIIe République dans ceux du Maréchal Pétain et la IVe dans ceux du Général De Gaulle, qui fort heureusement était un démocrate et un républicain qui n’avait aucun penchant pour la dictature.
C’est qu’il y a toujours un moment où la faiblesse de l’Etat et le désordre deviennent si insupportables que l’appel à un pouvoir fort devient inévitable, pour le meilleur parfois, pour le pire le plus souvent.
C’est l’une des grandes leçons de l’histoire que l’on a tendance à oublier : la faiblesse excessive de l’Etat est aussi dangereuse pour la liberté que sa toute-puissance.
Ce régime d’assemblée qui tout au long de notre histoire n’a cessé d’être un régime de paralysie et d’impuissance, qui a usé tant d’énergie, de courage et de bonne volonté, il ne faut pas le confondre avec le parlementarisme anglais qui correspond si bien au tempérament et au génie du peuple britannique.
Dans le parlementarisme anglais, avec son scrutin uninominal à un tour, son bipartisme, son quasi consensus idéologique, son absence de courants de pensée révolutionnaires, les majorités sont stables et les gouvernements qui en sont l’émanation sont tout-puissants. Dans les faits le chef du parti qui a gagné les élections dirige le gouvernement et le Parlement, et la séparation des pouvoirs est en définitive peu marquée.
Dans le régime d’assemblée qui fut, à l’exception des années de guerre, le régime politique de la France de 1877 à 1958, avec son multipartisme, ses clivages idéologiques très forts, sa multitude de courants de pensée d’inspiration révolutionnaire, l’Assemblée était tout, le gouvernement rien. L’Assemblée pouvait tout défaire mais ne pouvait rien entreprendre faute de majorité stable.
Il faut toujours se remémorer l’expérience historique quand on se prend à rêver d’un modèle qui appartient à une autre culture, qui s’inscrit dans une autre histoire, qui s’appuie sur d’autres mœurs politiques.
C’est une vérité éternelle que les institutions ne valent qu’au regard de l’identité des peuples pour lesquels elles sont faites.
Il y a une singularité française, comme il y a une singularité allemande, anglaise ou espagnole. On ne gouverne pas la France comme l’Allemagne, le Royaume-Uni ou l’Espagne.
La France n’est pas une race, une ethnie ou une tribu. La France n’est pas un pays homogène. Ce n’est pas une donnée de la nature.
La France c’est le pays de la diversité, de la diversité des paysages, des climats, des cultures. La France c’est un agrégat de peuples et de provinces unis par une volonté. La France c’est une construction politique. La France c’est un projet. Pour que la France existât, il a fallu que nos Rois la veuillent avec obstination pendant des siècles, et que la République à son tour la veuille aussi avec la même passion, avec la même obstination.
Il a fallu pendant mille ans travailler à unir mille petites patries pour en faire une grande. Et depuis mille ans la France n’a cessé d’être travaillée par l’obsession de son unité.
La France une et indivisible n’est pas une invention de la Révolution Française, ce n’est pas une invention du jacobinisme.
La France une et indivisible, c’est un idéal national qui a cheminé pendant des siècles jusqu’à son plein accomplissement.
La France une et indivisible, c’est l’idéal d’une nation qui sait ce que son unité lui a coûté de peines et de sacrifices et qui ne veut rien accepter qui puisse la remettre en cause.
Il ne faut pas chercher ailleurs la cause de la passion française pour l’égalité. L’égalité c’est la clé de voûte de l’unité de la France. L’égalité c’est ce par quoi les Français ont surmonté leurs particularismes pour devenir les citoyens d’une seule nation. Ce n’est pas parce qu’ils sont semblables les uns aux autres. Ce n’est pas parce qu’ils se sont forgé au cours des siècles une histoire, des valeurs, une destinée communes que les Français éprouvent le sentiment de leur unité, c’est parce qu’ils se sentent égaux en droits et en devoirs.
Si l’unité française se trouve aujourd’hui si fragilisée, si le séparatisme et le communautarisme reviennent en force, si l’identité nationale semble autant se morceler, c’est d’abord parce que pour un nombre de plus en plus grand de français le sentiment d’égalité tend à s’effriter.
Comme toujours dans notre histoire, le retour de l’inégalité des droits et des devoirs ouvre la porte au retour des factions, des féodalités et des tribus et annonce l’affaissement de l’unité nationale.
Pour que l’unité soit préservée, pour que le principe d’égalité devienne une réalité aux yeux de tous les Français, il faut qu’il y ait au-dessus de tous les partis, de tous les intérêts, de toutes les tendances un Etat ayant assez d’autorité pour les dominer. Ce que le Général De Gaulle appelait « un Etat qui fasse réellement son métier ».
On peut être aussi libéral que l’on veut, on peut attacher beaucoup de prix à l’initiative individuelle, au marché, à la concurrence. On peut placer la liberté au-dessus de tout. On peut vouloir que la société civile s’affirme. Mais on ne peut pas imaginer la France sans un Etat fort.
Il y a des pays comme les Etats-Unis où c’est la nation qui a fait l’Etat.
Il y a des pays comme la France où c’est l’Etat qui a fait la nation.
Il y a en France un rapport à l’Etat qui étonne une grande partie du monde. Il y a en France une attente vis-à-vis de l’Etat qui vient de l’histoire et de la culture, qui est inscrite dans la mémoire, qui est inscrite dans l’inconscient collectif et qui est pour beaucoup d’étrangers parfaitement incompréhensible.
Qu’on le déplore ou qu’on s’en réjouisse, il est un fait que beaucoup de ce qui s’est fait de plus grand en France a été fait par l’Etat ou grâce à lui.
L’Etat a toujours été en France l’un des leviers de la modernisation et du progrès.
L’Etat a toujours été en France le principal agent de transformation sociale.
L’Etat a toujours été en France le catalyseur de toutes les réformes intellectuelles et morales et de toutes les révolutions des mentalités qui permettaient de rompre avec la fascination du passé pour apprendre à penser l’avenir.
Ce n’est pas un hasard si la réforme de l’Etat a toujours été en France le préalable à toute grande entreprise politique. Ce n’est pas un hasard si le renouveau de la France dans les périodes les plus difficiles de son histoire a toujours commencé par le rétablissement de l’autorité et du prestige de l’Etat. Et s’il est vrai qu’à l’heure actuelle l’Etat, étouffé par le poids de sa dette, paralysé par ses bureaucraties, par l’empilement des textes, des procédures et des contraintes de toutes sortes, contribue à bloquer la société au lieu de la libérer, s’il sert de paravent à beaucoup de conservatisme et de corporatisme au lieu d’être l’aiguillon du changement, s’il contribue à accroître les inégalités au lieu de les réduire, il s’agit de le réformer et non de l’affaiblir davantage. Il s’agit de lui redonner les moyens d’agir et non de l’en empêcher.
Il faut prendre la France comme elle est au plus profond d’elle-même, c’est-à-dire au plus profond de la conscience nationale, au plus profond de son identité.
Il faut la prendre avec sa passion de la liberté et sa passion de l’égalité.
Il faut la prendre avec son obsession de l’unité et son aspiration à la diversité.
Il faut la prendre avec sa conception d’un Etat fort, d’une nation rassemblée et d’une République indivisible.
En France, la démocratie doit s’accorder avec cette conception particulière de la souveraineté une et indivisible comme la nation et comme la République, et qui implique que l’Etat lui aussi soit un. Car si l’Etat en France doit obéir à la séparation des pouvoirs, il ne saurait être divisé en pouvoirs rivaux qui se concurrencent, qui se combattent, qui s’affaiblissent l’un l’autre comme c’est le cas dans les Etats fédéraux où la méfiance des pouvoirs locaux vis-à-vis du pouvoir central est constante. Comme c’est le cas aussi dans les modèles les plus libéraux où l’on ne croit qu’à la société civile, où l’idéal est celui de l’Etat minimum, où toute forme de pouvoir est considérée a priori comme une menace pour la liberté.
En France, c’est l’Etat qui a fait la nation.
En France, c’est l’Etat qui a fait la société civile.
En France, c’est l’Etat qui a donné la liberté et inventé les Droits de l’Homme.
En France, l’Etat doit être assez fort pour dominer les vieilles propensions à la division.
En France, l’Etat doit être assez grand pour s’opposer aux vieux penchants qui ramènent sans arrêt les féodalités et les corporatismes.
En France, l’Etat doit être un recours au-dessus des partis et des factions.
En France, l’Etat doit être laïque, c’est-à-dire également respectueux de toutes les religions et de toutes les croyances.
En France, aucun corps intermédiaire, aussi légitime qu’il soit, aussi nécessaire qu’il soit à l’équilibre de la société, ne peut faire écran entre le citoyen et l’Etat.
En France, la République exige que chaque citoyen soit regardé dans ses rapports avec l’Etat sans considération de ses origines, de sa religion, de sa couleur ou de ses appartenances politiques.
En France, la prééminence est donnée à la loi parce qu’elle est l’expression de la volonté générale qui est au-dessus de toutes les volontés particulières.
En France, les valeurs de la République et la conception de la nation sont le fondement de la démocratie.
En France, les valeurs de la République et la conception de la nation créent un penchant pour la démocratie directe plus marqué que dans les autres grandes démocraties où l’on attache plus de prix aux corps intermédiaires et à la démocratie représentative.
On peut s’en réjouir ou au contraire le déplorer, mais c’est cela l’identité de la France. C’est cela l’héritage de l’histoire de France. La France n’est pas une page blanche. Elle ne part pas de rien à chaque génération. Il faut prendre l’histoire de France là où elle en est et il faut la continuer.
C’est ce que fit le Général De Gaulle avec la Constitution de la Ve République en renouant les fils de notre histoire qui s’étaient rompus, en démêlant ceux qui s’étaient emmêlés.
La IIIe et la IVe Républiques ont échoué parce qu’au fond elles ne s’inscrivaient pas dans la continuité de la longue durée historique. Parce qu’au fond elles excluaient que l’Etat pût être fort. Parce qu’elles excluaient que l’exécutif pût jouer un rôle éminent. Parce qu’elles étaient trop aux mains des partis. Parce qu’elles étaient trop l’affaire des notables de la politique et pas assez celle du peuple.
Le génie du Général De Gaulle fut de renouer avec l’histoire de la longue durée, d’opérer la synthèse avec l’héritage de l’Ancien Régime et celui de la Révolution, de renouer avec une haute conception de l’Etat, de son impartialité, de sa grandeur, de sa continuité.
Le génie du Général De Gaulle fut de comprendre très tôt que le problème essentiel qu’il fallait résoudre était celui de la volonté politique et que le rôle des institutions n’était pas d’empêcher par tous les moyens que s’exprime une volonté politique mais qu’au contraire il fallait l’encourager, la soutenir, lui donner tous les moyens d’agir.
Le génie du Général De Gaulle, c’est que la volonté politique ne lui a jamais fait peur mais qu’au contraire il l’espérait, il la souhaitait comme une nécessité vitale pour un pays.
Le génie du Général De Gaulle, c’est d’avoir voulu rompre avec la malédiction qui depuis Mac Mahon pesait sur l’exécutif, et d’y avoir réussi.
Le génie du Général De Gaulle, c’est d’avoir réussi à imposer la Ve République à un système politique qui lui était hostile en s’adressant directement au peuple par la voie du référendum et surtout par l’élection du Président de la République au suffrage universel, qui fut sans doute la plus grande innovation politique du XXe siècle mais aussi celle qui était la plus conforme à notre génie national, à notre conception de la République et de la démocratie, et que nous devons à tout prix préserver.
La Ve République a sauvé la République. Elle a permis enfin que le chef de l’Etat en soit un, que le gouvernement gouverne, que le Parlement légifère. Elle a permis que dans les circonstances les plus graves les décisions qui devaient être prises soient prises. Elle a permis de surmonter la crise algérienne et celle de mai 68. Elle a permis l’alternance sans drame. Elle a supporté la cohabitation sans blocage. Elle a permis qu’en toute circonstance la France soit gouvernée. Elle a permis que dans tous les domaines il y ait enfin véritablement une politique.
Et si depuis 25 ans les changements nécessaires n’ont pas été accomplis, si depuis 25 ans le pays accumule des retards, ce n’est pas comme auparavant parce que les institutions empêchent des hommes de qualité d’agir.
Ce ne sont pas les institutions qui sont en cause, ce sont les idées, les comportements, les actes.
Ce ne sont pas les institutions qui sont en cause, ce sont les politiques qui sont menées qui manquent d’audace, qui manquent d’ambition, qui restent prisonnières de la pensée unique.
La Ve République a donné à la République pour la première fois dans notre histoire la stabilité gouvernementale. Ce n’est pas rien. Il ne faut donc y toucher qu’avec beaucoup de précautions, même si cette stabilité qu’ont si longtemps espérée tous ceux que désolaient l’impuissance de l’Etat a été payée d’un déséquilibre parfois excessif au profit du pouvoir exécutif et au détriment du pouvoir législatif.
Il faut s’approcher de la Constitution de 1958 avec le respect que l’on doit à un grand texte qui a jusqu’à présent rendu de grands services à notre pays. Je ne suis pas sûr que dans le passé on n’ait pas déjà pris trop de libertés avec notre Constitution sans en peser toutes les conséquences.
Je l’ai dit au cours de la campagne présidentielle : je n’ajouterai pas l’incertitude institutionnelle à la crise identitaire et sociale que traverse notre pays.
Je ne changerai pas les grands équilibres de nos institutions.
Je ne tournerai pas la page de la Ve République.
Mais il est vrai que depuis un demi-siècle, le monde et la société française ont beaucoup changé et que le moment est venu de nous interroger sur la manière dont ces changements affectent nos modes de gouvernement et l’idée que nous nous faisons de la démocratie.
Il est vrai que depuis un demi-siècle, la constitution de l’Europe a beaucoup progressé et que le droit communautaire a pris une place grandissante dans notre vie quotidienne.
Il est vrai que depuis un demi-siècle, de nombreuses innovations ont été introduites dans nos institutions qui nous appellent à nous interroger sur leur cohérence.
Il est vrai que depuis un demi-siècle, les pratiques ont beaucoup changé et que le moment est venu d’en tirer les leçons.
Il ne s’agit pas de dénaturer les institutions qui sont les meilleures que la France ait eu depuis 200 ans.
Il ne s’agit pas de revenir à la IVe République en prétendant faire la VIe.
Il ne s’agit pas de revenir aux errements du passé. Mais il s’agit d’ouvrir ce débat trop longtemps différé. C’est le rôle du Président de la République tel que l’avait conçu le Général De Gaulle.
C’est le rôle du Président de la République parce qu’il est la clé de voûte des institutions, parce qu’il est le garant de leur bon fonctionnement.
Mais ce n’est pas l’affaire du seul Président. C’est l’affaire de la nation tout entière. C’est l’affaire de tous les Français.
Les institutions c’est notre règle commune, qui nous permet de vivre ensemble. Elles ne sont fortes, elles ne sont efficaces que si chacun les accepte, que si chacun leur reconnaît une légitimité. Cette légitimité elle se gagne dans la durée. Il a fallu longtemps pour que la Ve République devienne légitime aux yeux d’une partie de la gauche, malgré le vote des Français qui l’avaient largement approuvée. Il a fallu l’alternance et deux septennats de François Mitterrand pour que les institutions de la Ve République cessent d’être regardées par une partie de la gauche comme un « coup d’Etat permanent ». Il a fallu du temps pour que tous ceux qui ne pouvaient pas se défaire du souvenir du 18 brumaire et du 2 décembre et qui avaient cru en retrouver la réplique dans le 13 mai 1958, finissent par accepter la légitimité de l’élection du Président de la République au suffrage universel et du parlementarisme rationalisé qui instaure un exécutif fort.
Il a fallu du temps pour que les inconditionnels de la démocratie représentative, qui se méfient des passions populaires, acceptent que nos institutions fassent une plus large place à la démocratie directe.
Pour que chacun se reconnaisse dans les institutions, pour qu’il se les approprie, pour qu’il les fasse siennes, il faut que chacun se sente partie prenante dans leur évolution.
Il faut que chacun se sente acteur. Il faut que chaque sensibilité, chaque point de vue puisse s’exprimer. C’est pourquoi je souhaite que le débat sur la modernisation de nos institutions ne soit pas seulement un débat à l’intérieur de la majorité présidentielle, ni seulement entre les hommes politiques ou seulement entre juristes.
Je veux que ce débat soit un débat ouvert, qu’il soit ouvert à tous les partis, à toutes les sensibilités, à toutes les écoles de pensée. Cette ouverture, seul le Président de la République peut la conduire parce qu’il est l’élu de la nation, parce qu’il est le Président de tous les Français, parce qu’il n’est pas prisonnier d’un parti, parce que son rôle est de rassembler, parce que son rôle est de parler pour tous les Français, parce que son rôle est de faire vivre la diversité française.
Je consulterai les partis politiques pour qu’ils puissent faire part de leur réflexion. Je créerai un comité qui associera des hommes politiques, des juristes, des intellectuels, auxquels je demanderai de réfléchir ensemble et de me faire des propositions d’ici au 1er novembre pour que notre République soit irréprochable. Pour que nos institutions soient adaptées aux exigences de la démocratie du XXIe siècle, qui ne peuvent pas être celles du XIXe, ni celles s’il y a cent ans, ni celles d’il y a cinquante ans.
Ce comité, pour bien remplir sa mission, doit être au-dessus des partis, se tenir à distance des jeux de rôle de la politique ordinaire. C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité que les personnalités qui le composeront soient choisies sur les seuls critères de leurs qualités personnelles, de leur hauteur de vue, de leur expérience, de leurs compétences. Je n’ai pas souhaité que les partis y désignent leurs représentants. J’ai souhaité au contraire que chacun y siège en toute liberté, en toute indépendance, et puissent s’exprimer en toute sincérité.
J’ai choisi d’en confier la présidence à Edouard Balladur. Sa longue carrière au service de l’Etat, sa grande expérience des affaires publiques, son sens de l’intérêt général et la réflexion qu’il poursuit depuis longtemps sur le fonctionnement de nos institutions le désignaient tout naturellement pour assumer cette responsabilité.
Je le remercie du fond du cœur d’avoir accepté sans hésiter de servir une fois de plus son pays comme il l’a toujours fait tout au long de sa vie.
J’ai demandé à Jack Lang, qui est agrégé de droit public et dont tout le monde connaît l’expérience d’homme d’Etat, d’en être un membre éminent.
Je veux, dans les circonstances actuelles, lui dire que je rends hommage à son sens de l’intérêt général, et lui témoigner mon respect et mon estime.
J’ai demandé à Pierre Mazeaud de prendre sa part à cette entreprise. Il a été Ministre, député, et il a présidé avec brio le Conseil Constitutionnel. C’est un juriste hors pair. Avec lui je sais que la Constitution sera abordée avec ce respect dont je parlais tout à l’heure. Je sais aussi que son éternelle jeunesse d’esprit ne sera effrayée par aucune audace dès lors qu’elle n’affaiblira pas l’autorité de l’Etat, qu’elle ne remettra pas en cause son unité ni celle de la République.
J’ai demandé de se joindre à eux à de grands juristes comme Guy Carcassonne, professeur de droit constitutionnel, comme Olivier Schramek, Conseiller d’Etat, ancien secrétaire général du Conseil Constitutionnel et à d’autres encore dont les talents et les mérites sont indiscutables.
Ils seront au total entre 12 et 15 membres. Je souhaite que leur travail s’organise autour de la notion de responsabilité. Je suis pour que les institutions permettent à la volonté politique de s’exprimer parce que je veux que la France soit gouvernée. Parce que si le gouvernement ne peut pas gouverner, la France ne pourra pas se réformer.
Mais plus la volonté politique s’affirme, plus la responsabilité politique doit s’affirmer aussi. Il ne peut y avoir de pouvoir fort sans responsabilité forte.
Il y a bien sûr dans notre Constitution la responsabilité devant les électeurs, et notamment l’élection du Président de la République au suffrage universel qui le rend responsable devant la nation tout entière.
Il y a bien sûr le référendum, que le Général De Gaulle concevait comme une question de confiance posée aux Français par le chef de l’Etat, et dont Jacques Chirac a élargi le champ.
Mais il me semble que le référendum ne remplit plus ce rôle et que cela ne suffit pas.
Je souhaite que le Président gouverne, pour reprendre l’expression de Georges Pompidou qui l’a employée bien avant moi. Mais je souhaite que dès lors il soit amené à rendre davantage de comptes. Je souhaite donc que soit étudiée la possibilité qu’il puisse s’exprimer une fois par an devant le Parlement pour expliquer son action et pour rendre compte de ses résultats. Même s’il ne peut y avoir de débat entre le Président de la République et la représentation nationale, même s’il n’y a pas juridiquement de mise en jeu de la responsabilité, tout le monde sent bien que ce serait un engagement fort, la mise en jeu d’une forme de responsabilité intellectuelle et morale qui ne serait pas anodine et qui aurait forcément des conséquences politiques sans pour autant que la dignité de la fonction présidentielle et la fonction de recours qu’elle incarne soit le moins du monde remises en cause.
Dans le même esprit, je souhaite que soit examinée la question de la limitation du nombre de mandats présidentiels. Faut-il les limiter à deux mandats successifs ou faut-il laisser les électeurs décider ?
Je souhaite que le pouvoir de nomination soit encadré pour les postes de haute responsabilité, non seulement parce qu’il est nécessaire de sortir de la République des connivences pour entrer dans celle des compétences, mais aussi parce que l’opposition ayant participé au contrôle des nominations, ayant eu son mot à dire sur la compétence des candidats et la pertinence de leur projet, on pourra peut-être espérer en finir avec cette valse des responsables à chaque alternance politique qui nuit tant à la continuité de l’action.
Comment faut-il organiser ce contrôle ? Quel pouvoir donner au parlement ? Quel rôle peut y jouer l’opposition ? Voilà les questions auxquelles la commission aura à répondre. Elles en appellent immédiatement une autre : quel pourrait être le statut de l’opposition pour qu’elle puisse mieux remplir son rôle dans une démocratie apaisée ? De quels moyens, de quels droits doit-elle disposer pour qu’elle soit en mesure, non d’empêcher la majorité et le gouvernement de gouverner, mais pour les mettre davantage en face de leurs responsabilités ?
Il faut envisager naturellement cette reconnaissance du rôle de l’opposition dans la perspective d’une revalorisation du rôle du Parlement.
Faut-il redonner au Parlement davantage de maîtrise de son ordre du jour ? Faut-il créer d’autres commissions ? Quels moyens de contrôle supplémentaires doivent être donnés aux assemblées ?
Je souhaite que toutes les questions puissent être posées. Je veux qu’il n’y ait aucun tabou. Je veux qu’il n’y ait aucune autocensure. Je veux qu’il n’y ait aucun interdit.
Je suis réservé quant à la suppression de l’article 49-3 qui permet au gouvernement de faire adopter un texte quand il n’y a pas de majorité pour voter la censure. Sa suppression modifierait profondément les équilibres de la Ve République. Mais son utilisation a toujours suscité des débats. Ces débats n’ont jamais été conduits à leur terme. Je veux qu’ils le soient.
Il ne faut pas avoir peur de discuter du 49-3, pas plus qu’il ne faut craindre de discuter de l’article 16. Je ne crois pas qu’il soit pertinent de le supprimer sous le seul prétexte qu’il n’a pas servi depuis longtemps, tant l’histoire a montré qu’aucun pays n’était jamais à l’abri de circonstances exceptionnelles. Mais pourquoi serait-il interdit d’en discuter ?
Il y a un débat sur le rôle du Premier Ministre ? Il est aussi ancien que la Ve République. Prenons ce débat à bras-le-corps au lieu de l’éluder.
Il y a un débat sur l’étendue des pouvoirs du Président de la République ? Eh bien mettons le sujet sur la table.
Il y a un débat sur le retour à un parlementarisme plus pur ? Je n’y suis pas favorable. Mais parlons-en.
Il y a des voix qui s’élèvent pour dire que la logique du quinquennat oblige à aller vers un régime présidentiel où la séparation des pouvoirs est totale. Je crois que la France n’est pas prête à cette évolution et que les conditions ne sont pas réunies pour qu’un tel système fonctionne correctement. Mais pourquoi ne pas échanger sur ce sujet comme sur les autres ?
Il y a une polémique récurrente sur l’indépendance de la justice. Il y a un débat pour savoir si la justice doit être une simple autorité ou un pouvoir au même titre que l’exécutif ou le législatif. Je ne suis pas favorable à une justice qui entrerait en concurrence avec les deux autres pouvoirs. Mais pourquoi ne pas ouvrir ce dossier et en parler une fois pour toutes ?
Il y a un paradoxe dans le fait que les citoyens français puissent contester les lois françaises devant les juridictions européennes mais ne puissent pas contester leur constitutionnalité devant les tribunaux français. Certains pensent que cette faculté devrait être reconnue aux citoyens de notre pays et que ce serait un progrès pour les libertés. Mais faut-il transformer le Conseil Constitutionnel en Cour Suprême ? Faut-il que la jurisprudence prenne le pas sur la loi ? Faut-il accroître l’insécurité juridique ? Je ne suis pas favorable à la judiciarisation de la société. Je ne suis pas favorable à ce que le juge prenne le pas sur le législateur. Ce serait une rupture profonde avec notre modèle républicain qui s’accomplirait. Mais pourquoi ne pas examiner les termes de ce débat puisqu’il existe ?
Il y a un débat sur la représentativité du Parlement et sur la proportionnelle ? Je suis pour le scrutin majoritaire qui permet de dégager des majorités stables pour gouverner. Mais au nom de quoi peut-on refuser de discuter de l’introduction d’une dose de proportionnelle à l’Assemblée ou au Sénat qui permettrait d’améliorer la représentativité du Parlement sans remettre en cause le fait majoritaire ?
Il y a un vieux débat sur le rôle du Sénat qui va et vient depuis que le Général De Gaulle l’a ouvert en 1969 ? Pourquoi nous interdirions-nous de reprendre ce débat ? Pourquoi refuserions-nous d’examiner dans quelles conditions le Sénat pourrait mieux refléter la diversité française qui a besoin aujourd’hui d’être davantage présente dans les institutions de la République ?
Vous l’avez compris : je souhaite que l’essentiel soit mis sur la table. Je souhaite que l’on examine concrètement tous les moyens qui permettront à notre république et à notre démocratie de progresser.
J’ai une conviction : il ne faut jamais avoir peur du débat. Il ne faut jamais fuir le débat.
Il y a 61 ans, ici même, le Général De Gaulle avait déclaré en conclusion de son discours sur les institutions : « Ces convictions n’ont pas de parti. Elles ne sont ni de gauche ni de droite. Elles n’ont qu’un seul objet, qui est d’être utiles au pays. Ils le savent bien et elles le savent bien, tous les hommes et toutes les femmes de chez nous dont nous avons eu souvent l’honneur et le réconfort de toucher le cœur et d’atteindre l’esprit en leur demandant de se joindre à nous pour servir la France. »
C’est une fois encore ce que nous allons essayer de faire. Ce n’est pas à mes yeux seulement une nécessité politique, c’est aussi un devoir moral. Et comme le Général De Gaulle, je veux vous dire ici ce soir à vous tous, Françaises, Français, du fond du cœur :
Vive la République !
Vive la France !
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