Engagé dans le développement multiforme de l’action culturelle française à l’étranger, j’ai accompagné Unifrance au Japon, organisme de promotion du cinéma français, sous tutelle du Centre national de la cinématographie rattaché au ministère de la culture et de la communication.
La délégation française conduite par l’actrice et réalisatrice, Sophie Marceau, accompagnée de Christophe Lambert, Julie Depardieu, Béatrice Dalle, Ludivine Sagnier et Patrick Bruel, a présenté une douzaine de films nouveaux : Les Femmes de l’ombre de Jean-Paul Salomé ; La jeune fille et les loups avec Laetitia Casta ; La naissance des pieuvres de Céline Sciamma, introduite à Cannes par Jeanne Moreau ; Paris de Cédric Klapisch ; Les Amours d’Astrée et de Céladon d’Eric Rohmer ; La disparue de Deauville de Sophie Marceau , Un secret de Claude Miller, etc… S’ajoutait une rétrospective Jacques Rivette.La promotion du cinéma français (228 films réalisés en 2007) s’impose fortement alors que trois indicateurs témoignent d’une morosité en 2007 : la fréquentation en salle baisse, la diffusion à l’étranger ne progresse pas et les tournages de films étrangers en France se raccourcissent dans la durée, en raison de la concurrence des pays d’Europe de l’Est et de l’absence d’incitation financière. Les studios américains préfèrent de ce fait tourner en Allemagne ou en Grande-Bretagne.
Ces résultats médiocres profitent aux films américains (49,9 % en 2007, de part de marché en France contre 44,2 % en 2006) et aussi aux longs métrages d’autres nationalités.En dehors de l’hexagone, le cinéma français a atteint en 2007 54 millions de spectateurs (65 millions d’entrés en France pour des films français). Si les films français reçoivent un accueil plutôt favorable dans le monde anglo-saxon et en Russie, ils subissent en revanche un sérieux revers au Japon.
L’Asie demeure réfractaire au cinéma français.
Le Japon confirme effectivement que les cycles et les modes qui dessinent son paysage cinématographique se suivent de plus en plus rapidement. Les spectateurs sont extrêmement sollicités, plus de 20 sorties en salle par semaine. Et le Japon compte 3221 écrans la moitié environ du parc français pour une population qui est le double de la population française.
Alors que 2006 avait été une bonne année pour les films français au Japon, 2007 voit une baisse du nombre de tickets de cinéma vendus( - 0,8 %) pour atteindre un total de 3 millions de spectateurs (1,9 % de part du marché et moins 2,6%de vente de DVD).
Le public japonais se tourne à nouveau vers le film étranger, majoritairement américain. Il privilégie aussi les films japonais commerciaux, cinéma d’action, d’animation, empreint de nostalgie ou encore des films de samouraïs. Des recettes gagnantes.
La présence d’une star et mieux encore de plusieurs est un atout majeur dans le décollage d’un film. Ce qui fait dire à l’un des plus importants distributeurs de cinéma au Japon, Ken Nakagaya, que pour distribuer davantage de films français au Japon, il faut « plus de stars et d’argent pour soutenir la promotion des films. »
La promotion du cinéma français, vecteur du rayonnement de la France à l’international est, enfin, devenue un programme d’action de la puissance française qui prend conscience de nos carences marketing à comparer avec le système américain parfaitement rodé.
Le danger comme bien souvent dans notre pays est de chercher un bouc émissaire à nos problèmes de réformes structurelles. L’inauguration du Festival du Film Français au Japon a, comme par hasard, coïncidé avec la publication, le jour même dans « Le Figaro », d’un article plus vindicatif qu’argumenté, contenant une dénonciation en règle de la promotion des films français à l’étranger par Unifrance.
L’organisme public qui bénéficie d’une subvention de dix millions d’euros est condamné pour l’absence de « films très grand public », pour la « pertinence de choix des pays » et pour le « manque de coordination avec les festivals de rang international ».
Voilà bien, une fois de plus, un travers français de s’en remettre directement ou implicitement à la puissance tutélaire d’un État omniprésent et de plus en plus omnipotent pour tout régler. Unifrance est certes perfectible mais là n’est pas le problème de fond. Une récente étude du Centre National de la Cinématographie a montré une bonne vitalité de la production en France. Des investissements historiques : 2007 est une année record avec des investissements dans les films « d’initiative française » qui dépassent le milliard d’euros, une augmentation de 60 % en dix ans ! Le budget moyen d’un film s’est établi à 5,5 millions d’euros en 2007.
Spécificité française, l’étude relève qu’en 2007 la catégorie des productions moyennes est celle qui a le plus progressé (+10 films produits/ 16,1 % en investissement). Il est cependant encore trop tôt pour affirmer qu’il s’agit ou non d’une tendance structurelle puisque les deux tiers des investissements sont toujours affectés aux films à gros budget (plus de 7 millions d’euros).
Le cinéma français se renouvelle, c’est un fait.
Les acteurs et réalisateurs sont plus jeunes. Nombreuses sont les actrices qui rencontrent le succès, en France et à l’étranger, assurant une bonne promotion : Marion Cotillard (La Môme), Audrey Tautou (Amélie Poulain), Sophie Marceau (Les Femmes de l’ombre et, comme réalisatrice, la Disparue de Deauville). Sophie Marceau, Christophe Lambert et le réalisateur Jean-Paul Salomé sont tous très conscients qu’il nous faut changer de cap, intégrer les techniques modernes de communication pour « se vendre » et « vendre » le cinéma français, œuvre artistique et produit commercial.
L’exemple nous vient d’Amérique. Le cinéma d’Outre-Atlantique s’appuie sur un réseau de distribution mondial, un outil d’une formidable puissance de frappe. Il s’appuie parallèlement sur une contractualisation des acteurs avant même de tourner la première image, pour jouer également les agents de relations publiques à l’échelle mondiale. Les journaux écrits et télévisés français, les 20 heures de TF1 et de FR2 se font ainsi régulièrement les porte-voix du cinéma américain en France. Au Japon je n’ai pas vu d’équipes couvrir le Festival, ni TV5Monde, (FranceTélévisions en est pourtant le premier bailleur de fonds), ni France 24 dont la mission est de promouvoir la création française sous toutes ses formes. J’ai par contre observé avec satisfaction l’organisation de l’antenne d’Unifrance au Japon et le soutien appréciable de l’Institut Franco-Japonais de Tokyo, ce qui
prouve que nos instituts et centres culturels ont un rôle de complémentarité essentiel à jouer dans les évolutions en cours.
Par ailleurs, les contrats de production de films, avec l’arrivée de nouveaux financiers soucieux de rentabilité, doivent désormais inclure des déplacements promotionnels à l’étranger. Acteurs et réalisateurs français doivent voyager davantage. L’État français ne peut cependant se substituer à des activités qui relèvent d’abord du modèle économique cinématographique. Il doit par contre assurer une coordination, soutenir le cas échéant, certaines productions par souci d’égalité de traitement entre différentes catégories de films, d’auteurs par exemple en raison d’un public plus restreint.
Dans la configuration actuelle, le CNC et Unifrance ont un rôle prépondérant à assumer pour réguler et faciliter ces nouveaux comportements institutionnels, aux côtés du milieu professionnel et également du Parlement au travers des commissions des Affaires culturelles. Dans ce secteur d’activité, l’auto-promotion par le seul vedettariat est insuffisante. Il faut mettre en œuvre un plan de communication orienté vers le marché, ses tendances, ses publics, ses moyens de diffusion : salles, DVD et autres médias spécialisés.
C’est à ce prix que le cinéma français, un des tout derniers, à pouvoir encore résister au rouleau compresseur américain pourra continuer à apporter dans la différence une valeur ajoutée à la diversité culturelle dans le monde.
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