Dans
un monde fragilisé par la multiplication des facteurs de risques (catastrophes
naturelles, pandémies, de conflits géopolitiques, attentats terroristes), la
protection et la sécurité des personnes et des biens sont un enjeu majeur pour
tout État. Elles font partie de ses missions régaliennes. Les 2 500 000
Français résidant hors de France, particulièrement vulnérables du fait
notamment de leur éparpillement géographique, placent eux aussi la sécurité au
premier rang de leurs préoccupations, d'autant plus que les sources de fracture
et les crises qui en découlent se succèdent à un rythme accéléré.
Pour ne mentionner que quelques-unes des plus récentes, rappelons la crise en Côte d'Ivoire de novembre 2004 avec l'évacuation de nos ressortissants par les forces françaises de l'opération Licorne et le rapatriement de 8 000 d'entre eux. Le terrible raz-de-marée, un mois plus tard au Sri Lanka, aux Maldives et en Thaïlande avec la perte de 95 de nos ressortissants et le rapatriement de 2 000 de nos touristes. Lors de l'été 2005, la catastrophe aérienne de Maracaibo au Venezuela avec la disparition de 152 Français et le cyclone Katrina en Louisiane où 54 de nos compatriotes ont dû être secourus in extremis lors des inondations. Enfin à l'été 2006, le conflit au Sud Liban et le rapatriement de 14 000 personnes dont 11 000 Français.
Par Mmes Joëlle
GARRIAUD-MAYLAM, Paulette BRISEPIERRE, MM. Jean-Pierre CANTEGRIT,
Christian COINTAT, Robert del PICCHIA, Louis DUVERNOIS, André FERRAND et Michel
GUERRY,
Les dispositifs existant en matière
de soutien à nos compatriotes expatriés
Les
risques ne pouvant être circonscrits à des zones précises et restant largement
imprévisibles, la mise en oeuvre d'une politique publique de prévention et de
sécurité des personnes et des biens en dehors du territoire national, qui
incombe essentiellement au ministère des affaires étrangères, n'est pas une
tâche aisée, et les progrès réalisés en ce domaine méritent d'être salués. Un
budget de 2,63 millions d'euros a ainsi été consacré en 2006 à la sécurité des
Français à l'étranger.
Des
plans de sécurité, mis en oeuvre dans 332 postes consulaires, sont
régulièrement actualisés. À Paris, des unités spécialisées gèrent les
situations de crise et un « Centre opérationnel d'appui à la gestion des
crises » renforcera dès cette année les capacités de traitement et de
coordination dans l'urgence.
Le
rapatriement est la phase ultime en matière de protection des personnes. Le
dispositif opérationnel français, auquel se joignent nos forces militaires, est
reconnu comme l'un des plus efficaces des pays développés. Bien souvent, la
protection et les secours apportés aux victimes dépassent largement le cadre de
nos ressortissants. Beaucoup de nationaux d'autres pays ont ainsi bénéficié de
l'aide française, et l'on peut regretter que le problème de la protection, de
la prise en charge et éventuellement de l'évacuation des personnes ne soit pas
traité et financé par un fonds spécifique au niveau de l'Union européenne.
Un
rapatriement est toujours un traumatisme. Quitter un pays où l'on réside
parfois depuis toujours, y laisser une activité professionnelle, de la famille,
des amis et ses biens est une grande souffrance, souvent aggravée pour les
binationaux. Le dispositif d'accueil d'urgence mis en place par notre
gouvernement est ainsi particulièrement utile, mais insuffisant.
Un
rapport d'information de l'Assemblée nationale publié en février 2007 établit
un bilan des mesures de soutien prises en faveur de nos compatriotes de Côte
d'Ivoire. Sur 8 000 Français rapatriés, 2 233 ont été pris en charge
dès leur arrivée à l'aéroport de Roissy par le Comité d'entraide aux Français
rapatriés (CEFR). Cet organisme, qui a joué un rôle essentiel d'accueil et de
réinsertion des personnes isolées, a hébergé un demi millier de personnes
dans ses centres jusqu'à leur réinsertion sur une période s'étalant sur deux
ans et demi. Par ailleurs, des mesures exceptionnelles ont été décidées pour
aider à la réinstallation des rapatriés (décrets des 10 et 23 décembre
2004 pris en application de la loi du 26 décembre 1961 relative à
l'accueil et à la réinstallation des Français d'outre-mer). L'effort financier
direct consenti par l'État aux rapatriés de Côte d'Ivoire s'est monté à 9,7
millions d'euros, soit, si l'on considère les 8 000 Français rapatriés,
une aide de 1 212 euros par rapatrié. Une aide certes appréciable mais
insuffisante pour envisager une réinstallation à l'étranger, comme le reconnaît
le rapport d'information dans ses conclusions.
La nécessité d'aides plus ciblées
pour une réinsertion ou à un redémarrage professionnel
Le
premier souci de nos nationaux, une fois mis hors de danger, est de pouvoir
reconstruire leur vie et reprendre leurs activités professionnelles. Beaucoup
de nos compatriotes souhaitent ainsi repartir dans leur pays de résidence dès
que la situation le permet, mais, ayant souvent tout perdu, ne peuvent réaliser
ce projet.
Un
soutien plus adapté aux enjeux de la mobilité internationale en période de
crises s'avère donc indispensable.
Dès
sa création en 1948, le Conseil supérieur des Français de l'étranger s'est
préoccupé de la question des dommages de guerre et de la possibilité de
couverture des risques afférents. Ce dossier de mise en place d'une
assurance-indemnisation pour la perte des biens des expatriés a été repris au
début des années 1980, sous l'impulsion notamment des sénateurs des Français
établis hors de France Paulette Brisepierre, Charles de Cuttoli, Jacques Habert,
Paul d'Ornano et Xavier de Villepin. À la suite d'un voeu unanime du CSFE, une
enquête d'opinion a été réalisée par le ministère des affaires étrangères,
prouvant l'intérêt de nos compatriotes pour une telle protection. Mais, malgré
des tentatives réitérées, aucune société d'assurance ne semble avoir voulu
aller jusqu'au bout de la mise sur le marché d'un tel produit, même si le
nombre de Français s'expatriant croît régulièrement et de façon importante
depuis une dizaine d'années. Une assurance de ce type mise en place par la
Suisse pour ses compatriotes de l'étranger, avec 6 000 cotisants
dénombrés, n'a pas obtenu le succès escompté.
Le
Président de la République a, pendant sa campagne électorale, inscrit au nombre
de ses propositions l'étude de la mise en oeuvre d'une assurance-indemnisation
pour les Français de l'étranger.
Il
ne s'agit pas, bien entendu, pour l'État de se substituer à la responsabilité
des autorités du pays dans lequel les pertes sont constatées. Nous n'ignorons pas non
plus l'existence du fonds de garantie créé par la loi n° 90-589 du 6
juillet 1990 pour indemniser les victimes d'infractions, notamment à caractère
terroriste.
Mais
force est de constater que nos compatriotes touchés par la perte de leurs biens
ne sont généralement pas couverts par ces dispositifs, et que de nombreux pays
en proie à des situations de crise n'honorent pas leurs engagements au regard
du droit international.
C'est
pour cela qu'en vertu du principe d'équité, puisque le préambule de la
Constitution proclame l'égalité et la solidarité de tous les Français devant
les charges résultant de catastrophes, nous proposons que l'État s'engage en
créant un fonds public permanent de solidarité (F2PS) pour les Français
expatriés victimes de catastrophes naturelles ou troubles géopolitiques graves
dans leur pays de résidence et contraints au rapatriement.
Cette
aide destinée à aider à leur réinsertion et à leur reprise d'une activité
professionnelle, se
justifie pleinement par le risque de l'expatriation, mais aussi par les
bénéfices que celle-ci apporte à l'ensemble de la Nation.
Cette
mesure pourrait d'ailleurs se comparer à l'aide au retour proposée aux
étrangers pour leur réinsertion dans leur pays d'origine, et ne représenterait
qu'une petite fraction de cette aide, telle que visée par l'article 58 de la
loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et
portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, qui met en place une
aide à la réinsertion des anciens migrants dans leur pays d'origine.
Le financement du fonds de solidarité
Le
fonds permanent de solidarité sera alimenté par la création d'une assurance
volontaire qui pourrait être souscrite par les expatriés, avant leur départ à
l'étranger ou par l'intermédiaire d'un consulat de leur pays de résidence, et
qui serait garantie par l'État.
Il
sera également abondé, éventuellement d'une manière transitoire, pendant les
premières années de création de ce fonds, par une fraction du produit de
l'établissement de passeports.
Il
serait en effet cohérent que tout Français détenteur d'un passeport et donc
appelé en principe à voyager en dehors du territoire de l'Union européenne
participe ainsi à sa propre sécurité. Ce serait également un témoignage de la
solidarité nationale envers ceux de nos compatriotes expatriés victimes de
circonstances graves et imprévisibles.
Ce
fonds pourrait également être abondé grâce à une fraction du produit des
successions appréhendées par l'État à titre de déshérence.
En
outre, l'article 768 du code civil disposant que « l'État recueille les
successions, à défaut d'héritiers, par droit de déshérence », un
amendement au projet de loi de finances pour 2003 de notre collègue Yann
Gaillard a permis de soustraire une partie des recettes liées à ces successions
au profit de la Fondation du Patrimoine. Rien ne semble pouvoir empêcher qu'une
autre fraction du produit de ces successions revienne au fonds de solidarité
ainsi créé. Un prélèvement de 10 % sur le produit de ces successions ne
générerait en aucune manière de perte pour les recettes de l'État si les
services compétents (Direction générale des Impôts et des Biens) font l'effort
nécessaire pour rechercher et recouvrer ces successions en déshérence dans leur
totalité et dans les délais les plus brefs possibles.
Enfin,
un décret en Conseil d'État déterminera le montant et les modalités de
versement de la contribution de solidarité.
Tels
sont, Mesdames et Messieurs, les motifs de la présente proposition de loi que
nous vous demandons de bien vouloir adopter.
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